- Laurence Kahn – Précarité de la trace
- Jean-Michel Lévy – Impressions du souvenir
- Michel Rey – Littéralement et dans tous les sens
- Françoise Laurent – Si toi aussi tu m’oublies
- Alexandre Morel – Prendre son masque pour son visage
- Philippe Quéméré – Indifferenz versus neutralité
- Bernard de La Gorce – Où tu vas comme ça ?
- Jean-François Solal – S’incliner devant la jouissance ?
- Brigitte Éoche-Duval – Le plaisir, une conquête sans cesse à venir
Laurence Kahn – Précarité de la trace
Résumé – De l’enthousiasme soulevé par les grandes découvertes archéologiques de son siècle jusqu’à l’épreuve constituée par l’invasion de la barbarie, la trace mnésique demeure une pierre angulaire du bâti psychanalytique. Marquage invisible qui ne se fait connaître qu’à travers ses réactualisations au présent du transfert dans la cure ou par son pouvoir d’engendrer les répétitions meurtrières dans l’histoire, elle est régulièrement l’objet de virulentes critiques dans les procès en métaphysique de la psychanalyse, alors que dans le même temps la notion interroge sans répit le statut de l’événement matériel, la pertinence de la diachronie et la cohérence d’arrangements interprétatifs secondarisés.
Comment concevoir sans elle le retour du même sous l’aspect d’une forme absolument autre ? Comment se passer de l’économie de la décharge, elle-même directement articulée à la conception énergétique de l’empreinte mnésique de la satisfaction ? Comment travailler sans les preuves de sa matérialité sans pour autant succomber au relativisme ?
Mots-clés – Trace mnésique. Métaphore archéologique. Narration. Point de vue économique. Décharge. Réalisation hallucinatoire. Oubli. Répétition.
Jean-Michel Lévy– Impressions du souvenir
Résumé – Le souvenir est toujours altéré, déformé, remanié, toujours plus ou moins souvenir de couverture. Il est porteur de l’infantile au présent dissimulé dans un détail, une trace. Pour se remémorer pleinement dans la cure ce passé-présent, toutes les impressions du souvenir entrent en jeu, notamment celles qui restituent la dimension purement sensorielle de la trace.
Mots-clés – Souvenir. Régression. Trace. Figurabilité. Acte.
Michel Rey – Littéralement et dans tous les sens
Résumé – Dès qu’on prend en compte des séquences d’histoire, individuelle ou collective, on est confronté à des traces à rebours, destinées à produire le caractère homogène de ce qu’on présente. On voit ici tout l’intérêt de ce que Bergson a appelé « l’illusion rétroactive ». C’est un éclairage aux effets multiples dans la perspective d’un temps fabriqué pour des intérêts spécifiques.
Mots-clés – Fin de l’histoire. Rétroactivité. Fabrique de traces. Révisionnisme. Lissage de la civilisation. Prédictif
Françoise Laurent – Si toi aussi tu m’oublies
Résumé – Quelle trace chacun laisse-t-il dans la mémoire de l’autre ? À cette question Christian Boltanski a consacré son œuvre. Pour le psychanalyste, les traces mnésiques constituent à la fois le matériau de la vie psychique consciente, et l’outil de ses remaniements, auxquels procèdent le travail du deuil, et le travail de la cure. Celle-ci enrôle de plus la mémoire de l’analyste, qui tel un archéo- logue relève les traces laissées par l’inconscient de l’analysant dans la texture des séances pour ériger sa construction contre la puissance refoulante de l’oubli.
Mots-clés – Traces mnésiques. Image motrice. Substance. Construction. Deuil. Oubli.
Alexandre Morel – Prendre son masque pour son visage
Résumé – L’implicite est ce qui va sans dire. Comme le transfert. Ce dernier s’y entend pour défaire notre goût du sens. Quel jeu possible dans un système de contraintes identificatoires nous pousse à prendre corps et parole en séance ? En suivant les routes et les déroutes d’un moment de cure, dans la tension constante entre la mise en sens et le déploiement d’un certain nombre d’apparitions ou de personnages en séance, on pourra se demander : « Mais pour qui se prend-on ? »
Mots-clés – Implicite. Figuration. Incarnation. Personnages. Comme si. Transfert. Haine.
Philippe Quéméré – Indifferenz versus neutralité
Résumé – L’auteur se donne ici pour tâche de revisiter le mot indifferenz, que Strachey traduisit par neutralité, traduction qui aura des destins divers, parfois néfastes, sur la tech- nique psychanalytique. Après avoir, sur les pas de Freud, déployé la polysémie d’indifferenz et souligné l’écart avec indifférence et neutralité, l’auteur propose, filant la métaphore nautique, de la comparer au point fixe de l’étoile Polaire, assurant un cap idéal au navigateur analytique, lui évitant, bien qu’il soit inévitablement attiré par le chant des passions transférentielles, la dérive fatale vers les récifs du « simulacre d’humanité ».
Mots-clés – Indifferenz. Neutralité. Acte analytique. Singularité. Imprévu.
Bernard de La Gorce – Où tu vas comme ça ?
Résumé – La sauvagerie qui se déploie à travers le monde quand les barrières de la culture s’effondrent ou se pervertissent bouleverse les repères avec un retour de la frénésie collective vers l’intime ? C’est une bascule dans le non-sens marquant le passage d’un monde où le jeu pulsionnel était placé sous la gouverne d’un équilibre entre principe de plaisir et principe de réalité, à un autre monde où cette régulation se trouve mise en échec. Au-delà du principe de plaisir, témoigne de ce revers. « Nous sommes vécus par des forces inconnues, échappant à notre maîtrise. » Qu’est-ce que c’est que ça ? Et face à cela, devant ça, quand les digues sont rompues, la psychanalyse reste-t-elle en capacité d’ouvrir la voie à un espoir de transformation ?
Mots-clés – Ça. Destructivité. Déliaison. Principes de plaisir et de réalité. Imaginaire. Illusion. Transformation.
Jean-François Solal – S’incliner devant la jouissance ?
Résumé – En proposant la pulsion de mort couplée à la libido, Freud paraît souscrire à son habituel dualisme scientifique. Il constate toutefois que ces pulsions s’expriment de façon intriquée, comme dans la contrainte de répétition. Prenant appui sur le second exemple freudien, celui du masochisme, Lacan donne une place majeure à la jouissance. Sans jamais l’écrire, il tend ainsi à un monisme des pulsions : elles fusionnent quand vie et mort expriment la passion. Nous en donnons l’exemple chez Francis Bacon. La clinique contemporaine du trauma, notamment en temps de pandémie, et celle de l’addiction confirment la pertinence du concept de jouissance.
Mots-clés – Pulsion de mort. Dualisme. Monisme. Masochisme. Jouissance. Trauma. Addiction.
Brigitte Éoche-Duval – Le plaisir, une conquête sans cesse à venir
Résumé – Pour rester le gardien de notre vie psychique, le principe de plaisir doit se prêter à de multiples combinai- sons pulsionnelles imposées par l’antagonisme d’Éros et de la pulsion de mort. Quel est le traitement possible pour cette part non liée de la destructivité à l’œuvre dans le psychisme humain ? L’expérience transférentielle analytique, avec la ressource de créativité des processus primaires, permettrait qu’opèrent un alliage et une transformation pulsionnelle vers un gain de plaisir mobilisable dans la relation à l’autre.
Mots-clés – Plaisir. Éros et pulsion de mort. Déliaison et destructivité. Douleur. Expérience transférentielle analytique.
Laurence Kahn – The precariousness of the trace
Abstract – The mnemic trace remains a cornerstone of the psychoanalytic construct and it shows in the enthusiasm sparked by the great archaeological discoveries of this century and the ordeal of the invasion of barbary. It is an invisible feature that reveals itself only through its reactualisation in the present of the transference during the treatment or through its power to generate murderous repetitions in history, and it is regularly the object of virulent criticism in the metaphysical attacks aimed at psychoanalysis. By the same token, the notion questions relentlessly the status of material experience, the relevance of diachrony and the coherence of interpretative arrangements based on secondary processes.
How can we possibly understand the return of the same in a completely different form? How can we do without the economy of the discharge, which is itself directly articulated to the energetic conception of the mnemic imprint of satisfaction? How to work without the evidence of its materiality without yielding to relativism?
Key words – Mnemic trace. Archaeological metaphor. Narration. Economic point of view. Discharge. Hallucinatory realization. Forgetting. Repetition.
Jean-Michel Lévy – Impressions of memory
Abstract – Memory is always altered, deformed, reworked, and is always more or less a cover memory. It carries the infantile into the present, which remains hidden in a detail, that is a trace. In order to fully remember this past-present in the treatment, all the impressions of the memory come into play, especially those that restore the purely sensory dimension of the trace.
Key words – Memory. Regression. Trace. Figurability. Act.
Jean-Michel Rey – Literally and in every way
Abstract – As soon as we take into account sequences of history, whether it is individual or collective, we are confronted with traces backwards, which are meant to produce the homogeneous character of what we present. Here we see the interest of what Bergson called “the retroactive illusion”. It is an illumination with multiple effects in the perspective of a time produced for specific purposes.
Key words – End of history. Retroactivity. Factory of traces. Revisionism. Smoothing of civilization. Predictive.
Françoise Laurent – If you too forget me
Abstract – What trace does each person leave in the memory of the other? Christian Boltanski has devoted his work to this question. The psychoanalyst believes that memory traces constitute both the material of conscious psychic life and the tool for its modification, which is accomplished through the work of mourning and the work of the cure. The latter also involves the memory of the analyst, who, like an archaeologist, picks up the traces left by the analysand’s unconscious in the texture of the sessions in order to build his construction against the repressive power of forgetting.
Key words – Mnemic traces. Core image. Substance. Construction. Mourning. Forgetting.
Alexandre Morel – Mistaking mask for face
Abstract – Being implicit means that it goes without saying, like transference. The latter is able to undo our taste for meaning. What possible game in a system of identificatory constraints pushes us to exist and talk in a session? By following the routes and the diversions of a moment of treatment, caught in the constant tension between the search of meaning and the presentation of a certain number of appearances or characters in the session, we can ask ourselves: “But who do we think we are?
Key words – Implicit. Figuration. Incarnation. Characters. As if. Transference. Hatred.
Philippe Quéméré – Indifferenz versus neutrality
Abstract – The author sets himself the task of revisiting the word indifferenz, which Strachey translated as neutrality. This translation has various effects which may damage psychoanalytical technique. After having examined the polysemy of indifferenz and underlined the difference between indifference and neutrality in the footsteps of Freud, the author uses the nautical metaphor to compare it to a fixed point like the polar star, which ensures an ideal course for the analytic navigator, avoiding him the fatal drift towards the reefs of the ’simulacrum of humanity’ even though he is inevitably attracted by the song of transferential passions.
Key words – Indifferenz. Neutrality. Analytical act. Singularity. Unexpected.
Bernard de la Gorce – Where are you going?
Abstract – Does the savagery that unfolds throughout the world when the barriers of culture collapse or are perverted upset the reference points and brings about a return of the collective frenzy to the intimate? It is a tipping point into nonsense signaling the passage from a world where the instinctual forces were placed under the control of a balance between the principle of pleasure and the principle of reality to another world where this regulation has failed. Beyond the Pleasure Principle testifies to this reversal. “We experience unknown forces, beyond our control”. What is this? And in the face of this, when the dikes are broken, is psychoanalysis still able to create a hope of transformation?
Key words – Id. Destructiveness. Unbinding. Pleasure and reality principles. Imaginary. Illusion. Transformation.
Jean-François Solal – Bowing to jouissance?
Abstract – By suggesting that the death drive is binded to libido, Freud seems to subscribe to his usual scientific dualism. He notes however that these drives are expressed in an intricate way, as in the repetition compulsion. Taking the second Freudian example of masochism, Lacan gives a major place to jouissance. Without ever writing it down, he thus tends towards a monism of drives which merge when life and death express passion. We give the example of Fran- cis Bacon. The contemporary treatment of trauma, especially in times of pandemia, and addiction confirm the relevance of the concept of jouissance.
Key words – Death drive. Dualism. Monism. Masochism. Jouissance. Trauma. Addiction.
Brigitte Éoche-Duval – Pleasure, an ever-coming conquest
Abstract – To keep staying guardian of our psychic life, the pleasure principle must lend itself to multiple drive combinations imposed by the antagonism of Eros and the death drive. What is the possible treatment for this unlinked part of the destructiveness at work in the human psyche? The analytical transference experience, with the resource of creativity of the primary processes, would permit an alloy and a pulsionnal transformation to operate towards a gain of plea- sure that can be mobilized in the relationship with the other.
Key words – Pleasure. Eros and death drive. Unbinding and destructiveness. Pain. Analytical transference experience.
Laurence KAHN : est psychanalyste, membre titulaire de l’Association Psychanalytique de France, auteur notamment de Cures d’enfance (Gallimard, 2004) ; Faire parler le destin (Klincksieck, 2015) ; L’écoute de l’analyste (Puf, 2012) ; Le psychanalyste apathique et le patient post-moderne (L’Olivier, 2014) ; Fiction et vérité freudiennes : entretiens avec Michel Enaudeau (2004, rééd. Les Belles Lettres, 2018) ; Ce que le nazisme a fait à la psychanalyse (Puf, 2018).
Jean-Michel LÉVY : est psychanalyste, membre titulaire de l’APF, dernières publications : « Ombres et lumières de la bisexualité » (Revue française de psychanalyse, 2019, 83, 5), « Incertitude programmée » (in Incertitudes en psychanalyse, Paris, Fario, 2021).
Jean-Michel REY : a enseigné la philosophie et l’esthétique à l’Université de Paris VIII. Professeur émérite depuis 2008. Directeur de programme au Collège International de Philosophie de 1992 à 1998. Nombreux articles en France et à l’étranger. Une vingtaine de livres sur Nietzsche, Freud, Kafka, Valéry, Péguy, Artaud. Il a republié Philosophie de l’Histoire de France d’Edgar Quinet avec une Postface (Payot, 2009). Publications récentes aux éditions de L’Olivier : Paul ou les ambiguïtés (2008), L’Oubli dans les temps troublés (2010) ; une trilogie intitulée Histoires d’escrocs : t. I, La vengeance par le crédit ou Monte-Cristo (2013), t. II, La Banqueroute en famille ou les Buddenbrook (2014), t. III, L’Escroquerie de l’homme par l’homme ou The Confidence-Man (2014). Cette trilogie fait suite à trois livres : La Part de l’autre (Puf, 1998), Le Temps du crédit (2002) et Les Promesses de l’œuvre (2003) (Desclée de Brouwer). Penser avec l’imaginaire : Entretien avec Michel Enaudeau, (Les Belles Lettres, 2017). Le Suicide de l’Allemagne – le Moïse de Thomas Mann (Desclée de Brouwer, 2018).
Françoise LAURENT : est psychiatre psychanalyste, membre sociétaire de l’Association psychanalytique de France, elle exerce à Lyon.
Alexandre MOREL : est psychanalyste, analyste en formation à l’Association psychanalytique de France, psycho- logue, docteur en psychologie.
Philippe QUÉMÉRÉ : après avoir exercé la médecine générale, est psychiatre et membre sociétaire de l’Association psychanalytique de France.
Bernard DE LA GORCE : est psychanalyste en exercice à Lyon, membre de l’Association psychanalytique de France en activité à l’Institut de formation, ancien psy- chiatre des hôpitaux. Il a publié dans l’Annuel de l’APF, Penser-Rêver, la Revue française de psychanalyse, les Libres cahiers de psychanalyse, Carnet-psy et plusieurs volumes de « La petite bibliothèque de psychanalyse » aux Puf.
Jean-François SOLAL : est pédopsychiatre et psychanalyste, membre associé de la Société de Psychanalyse Freudienne. Auteur de L’événement juvénile, avec T. Garcia- Fons (Puf, 2016) et Si la psychanalyse est une histoire vraie (Campagne-Première, 2018).
Brigitte ÉOCHE-DUVAL : est psychanalyste, membre titulaire de l’Association psychanalytique de France. Elle a publié dans la Revue française de psychanalyse, les Libres cahiers et Esquisse(s).