En deux mots, talking cure, Freud opère une rupture épistémologique majeure dans le champ de la mémoire. La mémoire se pense alors à partir de l’oubli, le fonctionnement psychique à partir du refoulement, l’inscription de la trace à partir de la lacune laissée à la surface. La mémoire devient inconsciente et nous n’en avons que des trous.
Si avec la conception bi-phasique de la sexualité infantile l’oubli change de tempo et la temporalité de structure, l’introduction de l’après-coup bouleverse de fond en comble la relation entre affect, mémoire et oubli. L’oubli devient mémoire en acte sous la férule de la compulsion de répétition. Transformer la contrainte en motif de re-mémoration par le maniement du transfert et l’écoute contre-transférentielle, tel est l’objectif thérapeutique que Freud assigne dès lors à la cure.
Mais pourquoi un tel oubli ? De quoi est faite cette mémoire amnésique si particulière, qui la rend si présente et mutique à la fois ? Produit de l’inscription d’une perception première, maintes fois transformée, elle est aussi soumise tout à la fois à l’incidence des interdits surmoïques et aux effets protecteurs de l’effacement, quand il s’agit de faire obstacle au retour de la mémoire douloureuse d’un événement traumatique. De sorte que, si l’oubli protège, il conserve aussi. Au point de parvenir à immobiliser les objets œdipiens, les rendant en quelque sorte inoubliables grâce à la paralysie de tout mouvement de déplacement vers de nouveaux objets. Où l’on voit que la perlaboration aspire à une certaine forme d’oubli.
Qu’en est-il lorsque nous, humains civilisés, envisageons notre long passé de meurtriers ? Est-il possible de parler de mémoire collective ? Le modèle d’une « psyché de masse » frappée d’amnésie selon des mécanismes analogues à ceux de la psyché individuelle est-il pertinent ? L’homme Moïse est là, qui nous rappelle que la culture est le produit des effets posthumes d’un acte meurtrier qui ne cesse de se répéter et qu’elle a à charge de constamment métamorphoser. Lorsque le désinvestissement de la mémoire guette, lorsque la déliaison imprime sa marque dans la vie psychique ou dans la vie sociale, le danger n’est-il pas que le négatif se transforme en négation et que l’oubli devienne abolition ?