« Après avoir considéré en quoi les passions
de l’âme diffèrent de toutes ses autres pensées,
il me semble qu’on peut généralement les
définir des perceptions, ou des sentiments, ou des
émotions de l’âme, qu’on rapporte particulièrement
à elle, et qui sont causées, entretenues et
fortifiées par quelque mouvement des esprits. »
René Descartes, Les Passions de l’âme, 1649.
Passions, sentiments, émotions, affects, les termes qui servent à désigner nos états psychiques sont nombreux, mais rarement nettement définis et clairement distingués. Sans doute, le flou qui entoure les notions recouvertes par ces mots reflète-t-il une difficulté intrinsèque. Les états psychiques qu’ils désignent sont eux-mêmes flous, fluctuants, mal délimités, plus ou moins imprévisibles et par là même dérangeants pour l’esprit.
C’est probablement la raison pour laquelle l’approche scientifique, au sens des sciences expérimentales, de ces phénomènes a longtemps été négligée. La science apprécie la régularité des phénomènes, leur caractère prévisible et général. Elle se méfie de l’éphémère, de l’imprévu, du singulier. Je pense qu’il y a à cela une raison profonde : la menace de turbulences, plus ou moins fortes, est directement associée à la survenue inopinée d’états de tension interne, que nous désignons par l’un ou l’autre des termes que j’ai cités plus haut. Cette fois, du flou, du mal délimité, on passe au désordre, à l’informe, au chaos. Là est, je pense, l’origine de l’angoisse. Autant la pensée rationnelle, claire, secondarisée a une fonction apaisante, autant les débordements affectifs peuvent constituer une menace pour l’esprit. Si la nature a horreur du vide, l’esprit a horreur du chaos. A contrario, une pensée réduite à ses composantes formelles, dépourvue de toute note émotionnelle, perd toute spécificité humaine pour se confondre avec un langage d’ordinateur sans vie ni créativité. […]