Adresse de sa présidente :
L’APF a été fondée le 9 juin 1964 ; il y a exactement 60 ans.
Il me revient de dire quelques mots au nom de nous tous réunis pour honorer cette Association qui est la nôtre, lui dire notre gratitude et lui formuler nos vœux, comme auprès d’une joyeuse impétrante à qui on va dire en cette soirée d’anniversaire qu’elle est jeune, et bien loin d’une retraite… et pour cela nous nous réjouissons d’être entourés des amis de l’APF, nos amis et collègues, proches ou plus lointains que nous remercions vivement d’avoir répondu à notre invitation.
Fêter un anniversaire, est un peu bizarre quand on prétend rester dans une démarche analytique qui se défie des aliénations au service de l’autoconservation et n’a de cesse de repérer la force intemporelle du désir, de débusquer le passé quand il brouille l’actuel des formes de la temporalité humaine. Je pense à la réticence bien connue de Freud à cet endroit.
Alors, petite infidélité à Freud, fêter l‘anniversaire de la fondation de l’APF est devenu une habitude, tous les 10 ans, depuis que Jean-Claude Rolland a inauguré cela avec le trentième anniversaire en 1994. En 2004 André Beetschen ouvrait la fête du quarantième anniversaire et en 2014 pour le cinquantième, c’était Patrick Merot. Et avant ? pas de trace de manifestations particulières. On voit seulement que pour l’année des vingt ans de l’APF en 1984, l’APF a organisé sa première journée ouverte, « la pulsion pour quoi faire ? ». J’y vois un signe. Ouverture, fidélité à la pulsion freudienne et aussi action ou acte sont depuis 60 ans, notre viatique.
Bizarre peut-être de fêter un anniversaire ? mais c’est pourtant aussi l’occasion de reconnaitre que le temps qui passe, quoiqu’on pense, impose sa loi, celle de la succession des générations, avec ses héritages et ses nouveaux venus, mais aussi ses disparitions. Les fondateurs nous ont quitté, après eux d’autres anciens ou d’autres collègues quelques fois plus jeunes, des membres ou des analystes en formation de notre Institut, rappelant qu’une Association aussi, comme tout un chacun, doit assumer la peine de ces départs, comme tout dernièrement celui de Jean-Claude Rolland qui en était membre d‘honneur. Nous nous souvenons aussi que depuis notre dernière fête d’anniversaire Jean-Claude Lavie et Daniel Widlöcher l’un et l’autre membres fondateurs et membre d‘honneur de l’APF, disparaissaient .
Mais un anniversaire est aussi l’occasion de reconnaitre que ce qui fait la vitalité de l’Association tient à la transmission des héritages, à leur fructification et pour nous à l’arrivées des jeunes analystes qui font confiance à notre Institut pour venir s’y former, puis ensuite s’engager dans la vie associative pour la faire vivre et poursuivre sa mission de recherche et de transmission de la psychanalyse. Cette mission, l’APF ne la remplit pas isolée, elle s’engage en collaboration avec les autres Sociétés d’analyse et chacun de nos membres travaille, œuvre, échange avec d’autres psychanalystes ou chercheurs, nous tous ici ce soir, rencontrés sur le terrain de la même passion clinique et théorique. Il y a des collaborations anciennes et fidèles qui nous honorent. Et nous seront très heureux, tout à l’heure de remettre à Janine Altounian le titre de Membre d’honneur auquel elle a été élue au cours de notre dernière Assemblée générale.
Chaque anniversaire depuis trente ans nous fait entendre, réentendre, l’histoire de la fondation de l’Association et on ne s’en lasse pas. Et je vais y succomber.
En ce temps -là, le temps était mauvais, le temps des sociétés d’analyse s’entend. Et peut-être nous aimons nous souvenir de ce commencement dans une crise, nous souvenir des ruptures qui l’ont accompagné et nous souvenir de son dépassement magnifique en juin 1964. 1964, déjà 10 ans que la Société Française de psychanalyse, avait été créée dans la vivacité d’une autre crise, sous l’impulsion de jeunes analystes, Daniel Lagache, Juliette Favez- Boutonnier et Georges Favez, rejoints ensuite par Lacan ; 10 ans que se produisaient dans une créativité qui ancre notre nostalgie des travaux qui nous inspirent encore consignés dans la revue La Psychanalyse. Alors, autre crise, 1964, ce sont d’autres jeunes analystes, motionnaires, Jean-Louis Lang, Victor Smirnoff, J.-B. Pontalis, Daniel Widlöcher, Jean Laplanche, Jean-Claude Lavie avec tout proche d’eux Robert Pujol, Annie Anzieu, Didier Anzieu, rejoints par les plus anciens et aguerris psychanalystes : Daniel Lagache, Marianne Lagache, Georges Favez, Juliette Favez-Boutonnier et Wladimir Granoff, analystes restés attentifs à l’éthique de la formation et à la fidélité d’un retour à Freud fécond, puis plus tard rejoints par Rosolato, ceux sont eux qui fondent l’APF.
Et nous aimons réentendre ce récit auquel nous venons nous ressourcer au contact de la force insurrectionnelle de cette horde fraternelle qui n’était pas sans disputes, pas sans tensions, pas sans conflits et enjeux de pouvoir et de narcissisme mais qu’ils savaient dompter au service de la cause commune. Ils se tenaient dans un désaccord parfait selon le mot de Jean-Claude Lavie, unis par le refus de la soumission à un maître, et par la passion de la psychanalyse. Ils renouaient avec l’insurrection freudienne, avec cette rupture invraisemblable dans l’histoire des sciences humaines d’une pensée, et d‘un homme, qui n’a pas voulu s’adapter au plus simple, au plus évident, au plus répandu, ou au plus convenu et qui a maintenu la boussole de la découverte de l’inconscient. Nous aimons dans des identifications héroïques réentendre comment l’APF s’élance légère, déterminée et combative avec la démarche inimitable de Gradiva celle qui avance, allant au combat tel mars gradivus, au combat pour une psychanalyse qui avance. Nous aimons réinventer tout cela.
Mais peut être maintenant est venu le temps de quitter le terrain de la commémoration des événements pour entrer dans celui des récits de l’histoire et du mythe. C’est pour cela que le Conseil plutôt que de demander plusieurs témoignages aujourd’hui, a pris le parti de ne demander qu’à l’un d’entre nous un récit à propos des 60 ans de l’APF. Nous écouterons Jacques André, que nous remercions d’avoir accepté cette mission.
Et je remarque que le hasard (mais est-ce le hasard ?) a donné au comité scientifique l’idée d’interroger dans nos Entretiens de ces deux journées, au moment de ce 60ème anniversaire, ce qu’est devenu la Neurotica aujourd’hui. Savons-nous encore laisser le sol des événements se dérober sous nos pieds ?
Pour cela, pour entrer dans le mythe, ainsi que Patrick Merot il y a dix ans je retiendrai le récit par Daniel WIdlöcher de ce 9 Juin 1964, il écrit : « Jean Laplanche planait, Pontalis se promenait, Lang était un peu à côté de la plaque, Lagache regardait tout ça de très haut. Et Juliette Favez suivait en disant « où va-t-on ? C’est extraordinaire. Que se passe-t-il ? » « Granoff, -ajoute Daniel Widlöcher-, essayait de mettre de l’ordre dans tout ça. » Il fallait designer quelqu’un pour aller énoncer la création du nouveau groupe à l’AG de la SFP et ajoute- Widlöcher « comme sur le petit navire, c’était le plus jeune matelot que l’on avait chargé de cette mission d’annonce » c’est-à-dire lui-même. Et puis ensuite il fallait aller déclarer la nouvelle Association à la préfecture et là encore le choix des noms des fondateurs a été celui des plus jeunes : Jean-Claude Lavie, Jean Laplanche et Daniel Widlocher. Et c’est encore le plus jeune, sans doute pas en âge mais dans sa vie analytique, Jean-Claude Lavie, qui est chargé de porter les statuts à la préfecture.
L'acte héroïque d’un commencement est un mythe, il est celui du plus jeune qui se détache de la masse, et donnant le récit de l’acte qui fut par une « mensongère transformation poétique » dit Freud, ouvre les voies des idéaux et des identifications.
Alors je retiendrai que, identifiés, nous nous abreuvons à ce récit comme à une source de jouvence, qui nous donne vitalité pour chacun de nos petits commencements psychanalytiques quotidiens, qui sont comme aller au combat contre les résistances au dévoilement de la chose inconsciente : proposer une cure, l’engager, écrire un texte, développer une intuition théorique, ou aussi défendre par et dans ses Institutions, locales et internationales, la cause analytique, les conditions de la formation et de la transmission psychanalytique.
Dominique Suchet, 8 juin 2024