Il y a quelques temps au plus fort des bouleversements produits par l’épidémie de Covid alors que les cadres matériels des conduites de la cure étaient malmenés et que d’aucuns s’interrogeaient sur la menace qui ainsi pesait sur la pratique de la psychanalyse et sur sa théorie nous pouvions dire que la psychanalyse résistait. Comme elle résiste chaque fois que les psychanalystes dans leurs cabinets persistent à écouter dans chaque histoire singulière les perturbations du monde. Même si l’ordre de la réalité semble prévaloir sur la disponibilité d’écoute à la puissance représentative du désir inconscient, même si s’insinue par des concessions consenties (aménagements des dispositifs) l’idée que l’obéissance à l’impératif de la réalité échappe à l’impératif du désir inconscient, néanmoins dans le travail de l’analyse les concessions redeviennent, malgré tout, en séance, des matériaux soumis à la parole et à la répétition transférentielles. La crise sanitaire de ce point de vue, malgré sa charge émotionnelle et ses conséquences effractives majeures et exceptionnelles, n’est venue prendre qu’une place à peine particulière dans un cortège de bouleversements sociétaux qui, chacun à leur façon, font entrer de semblables mises en question dans le champ de la psychanalyse : les guerres et la guerre à notre porte, les émigrations massives, l’inflation et la pauvreté, les violences faites aux femmes, les questions sur l’affirmation de genre, la crise climatique…
Les psychanalystes poursuivent leur activité et les Sociétés d’analyse poursuivent leur travail de formation et de recherche scientifique témoignant que malgré cela la psychanalyse, sa théorie et sa pratique, restent des lieux où le mouvement de la vie de l’esprit prévaut sur l’attraction mortifère. Qu’Eros gagne (encore) sur Thanatos, qu’est-ce qui fait résister ainsi ?
Une réflexion sur la résistance s’impose à nous. Dans la cure nous en connaissons ses deux faces de progrès et d’obstacle quand la résistance arme le transfert. N’y a-t-il pas une même dualité de la résistance quand ne peuvent être éludés les rapports dialectiques de la psychanalyse et du champ social ? C’est ce qui a conduit l’Association psychanalytique internationale à organiser sur ce thème son 53° Congrès à Cartagena en Colombie pour des réflexions sans cesse tendues entre résister ou s’adapter. Si Outre-Atlantique la tendance prépondérante est à vouloir « adapter la psychanalyse au monde contemporain » un autre courant plus européen souhaite plutôt « sauvegarder la spécificité de notre science et de notre technique, ce qui en assure sa pertinence et son efficience ». Où est le progrès ? Où est la défaite ? Face à un engouement de vouloir « réinventer la psychanalyse sur de nouvelles bases scientifiques pour s’adapter à de nouveaux besoins des humains » (et on sait que là, Œdipe est directement visé) ne doit-on pas plutôt réaffirmer les shibboleths de la psychanalyse et veiller à leur sauvegarde ? Quelle est la nature de la résistance agissante à l’intérieur de la psychanalyse, chez les psychanalystes ?
La résistance par le « non » qu’elle oppose au principe de plaisir est au principe de tout progrès. Mais, ainsi que dans chaque cure quand elle contrecarre l’écoute du désir inconscient et l’analyse du fantasme, elle est une force qui œuvre chez les analystes quand ils veulent atténuer - civiliser dans des théories acceptables - ce que l’analyse révèle. Très vite on voit que les changements théoriques ou techniques, visent sur le plan théorique et technique ce que tout mouvement d’opposition à la psychanalyse vise : la pulsionnalité et l’exigence du travail psychique de dissolution du complexe d’Œdipe autant que la blessante reconnaissance de la pulsion de mort.
Les prochains travaux scientifiques de l’APF témoignent du souhait de poursuivre l’approfondissement de cette recherche, ancrée dans l’expérience de l’analyse, et au service de ses principes de formation. Nous souhaitons poursuivre une réflexion qui déjoue l’attraction mortifère de l’inertie sans s’épuiser dans l’agitation maniaque. Notre Journée ouverte de la rentrée (16 septembre 2023 à Paris) a pour thème « L’esprit de résistance », où la rencontre de psychanalystes, d’historiens, et de poètes élargira le champ de la réflexion. La journée ouverte de Bordeaux (25 Novembre 2023) en choisissant de se demander « Où est passé la sexualité infantile ? » ouvre une voie de réponse aux questions posées, ainsi que la soirée à Lyon « L’APF invite » (23 Novembre 2023) avec une réflexion sur le destin de ce conflit dans les actes de sublimation.
Dominique Suchet
Présidente de l’APF