À l’époque où le visuel tend à envahir le champ des connaissances et à y imposer sa loi, on ne tient compte qu’assez peu dans la psychanalyse des mécanismes propres à la pulsion qui s’y trouve associée, et ce malgré l’insistance constante de Freud sur les effets de son pouvoir.
Apportant son contrepoint au premier volume consacré à la clinique de l’exhibitionnisme, ce second tome prend en compte, du point de vue métapsychologique, l’omniprésence du désir de voir, les multiples formes qu’il prend dans l’inconscient, les diverses façons dont il se manifeste dans l’obsession, l’hystérie, le rêve, le moi d’esprit, le souvenir écran. Il en ressort que les pulsions de voir s’ordonnent et s’articulent sous le primat d’un référent majeur, tout aussi décisif que le référent symbolique : l’oeil de l’autre intériorisé. C’est toujours lui en dernier ressort qu’on cherche avoir, et c’est de lui qu’on désire être vu et bien vu.
Dans la seconde partie de ce livre, Gérard Bonnet reprend la même étude sur un terrain nouveau, assez peu exploré jusqu’ici : l’élaboration de deux oeuvres sculpturales qui se font face en la basilique de Vézelay, les chapiteaux du Basilic et de sainte Eugénie. L’intérêt de ces oeuvres, dont la richesse d’enseignements s’avère inépuisable, c’est qu’elles nous sont parvenues in situ, dans le cadre architectural où elles devaient prendre sens. Non seulement les deux sculpteurs mettent en scène une légende ou un conte fantastique qui posent directement les questions qui nous intéressent – l’exhibitionnisme au chapiteau d’Eugénie et l’aspect mortifère de la vision au chapiteau du Basilic –, mais ils le font en déjouant les pièges du regard, chacun d’une manière très différente. Le face à face de ces deux chapiteaux est une illustration saisissante du rapport entre la manifestation symptomatique ou perverse et l’expression de la tendance à voir, au sens le plus large.