Pour notre Association, l’année 2025 a commencé avec le rendez-vous scientifique de la Journée Ouverte que l’APF organise régulièrement depuis 1984 et ce tous les deux ans depuis 1993. Nous souhaitons à cette occasion partager les réflexions et les propositions de certains d’entre nous à propos d’une question qui traverse nos travaux. Cette année sur le Comité scientifique a choisi de débattre sur l’Imposture.
Si le thème habituellement choisi pour ces Journées croise toujours nos divers questionnements, qu’ils soient scientifiques ou institutionnels, l’Imposture ne rendrait-elle pas plus compte d’une préoccupation plutôt que d’un thème de travail. Une préoccupation qui sourd, en chaque place : que ce soit dans l’intime de la cure, côté divan ou côté fauteuil, dans les instances Institutionnelles ou bien encore dans les échanges entre Institutions. Et puis, on le sait, sur la place publique, quand arrive un avis sur la place de la psychanalyse ou de ses institutions, l’accusation d’imposture survient bien vite. C’est celle que l’environnement prête facilement aux psychanalystes. C’est aussi celle que les psychanalystes ou les institutions analytiques dénoncent quelques fois.
Et si on lit le Dictionnaire historique de la langue française on apprend qu’à l’origine imposture ou imposteur se disait de celui qui impose, qui en impose, ou même, qui s’impose. L’imposture et le pouvoir seraient-ils donc liés en leurs fonds ? En réalité, cela on le sait. Côté divan : le pouvoir incommensurable du symptôme rend l’analysant insatisfait. Côté fauteuil : le pouvoir (la « violence ») d’une interprétation survient et rend l’analyste inquiet de la place qu’il prend. (Celui qui se prend pour un analyste le reste-t-il ? demandait J.-B. Pontalis). Serait-ce à cause de ce lien entre imposture et pouvoir que les institutions analytiques, pensées pour protéger la psychanalyse, peuvent elles-mêmes la trahir en relâchant leur vigilance et en succombant à des aménagements techniques d’abord, théoriques ensuite ; dans la formation d’abord, dans les cures ensuite ? Dans les cures comme dans les institutions, les analystes sont conduits à sans cesse s’interroger sur leurs convictions et à maintenir leur navigation entre le Charybde de la complaisance avec les concessions et le Scylla de la fixation à de stériles fidélités. (Et l’histoire des Sociétés d’analyse en France nous enseigne sur ce point.)
Il se trouve que de nos jours les propositions faites par l’Association internationale de psychanalyse (API), annoncées pour « faciliter » la psychanalyse et sa transmission abandonnent en réalité la pertinence incisive de la métapsychologie ou édulcorent la méthode analytique en l’« adaptant » aux changements des nouvelles modalités de communication. En promouvant l’analyse à distance, en reléguant la présence des corps dans la situation analytique comme accessoire et en ramenant le langage à sa seule dimension manifeste et consciente n’opèrerait-on pas là à une atteinte des soubassements à la fois de la méthode et de la théorie analytique comme à la conception psychanalytique de la vie de l’esprit. Ne serait-ce pas une forme d’imposture ? On pense à l’image du couteau de Lichtenberg que Freud aimait utiliser pour dire l’exigence et la rigueur de la méthode et de la théorie psychanalytique : Un couteau auquel on change la lame puis le manche reste-t-il le même couteau simplement parce qu’il porte le même nom ? C’est sans doute avec ce souci que l’Association psychanalytique de France et vingt-huit autres sociétés de psychanalyse européennes, au nom de leurs convictions métapsychologiques et cliniques, se sont prononcées pour le maintien de la présence (dans la même pièce) pour les cures comme pour les supervisions dans la formation. Ces Sociétés d’analyse demandent à l’IPA dont elles sont des sociétés composantes d’être reconnues ainsi dans cette spécificité.
Finalement, en affirmant notre conviction ne redonnons-nous pas sa place et sa pertinence psychique à l’inquiétude d’un abus supposé de pouvoir que pourtant chaque humain et chaque psychanalyste comme chaque Institution a le devoir et la responsabilité d’interroger et d’assumer ?
Dominique Suchet, janvier 2025